
Inspirée d’un discours oublié, écrit par Étienne de La Boétie, qui parle de la servitude volontaire: un sujet tristement d’actualité à l’aube de cette année 2025.
<< On ne regrette jamais ce qu’on n’a jamais eu. Le chagrin ne vient qu’après le plaisir et toujours, à la connaissance du malheur, se joint le souvenir de quelque joie passée. La nature de l’homme est d’être libre et de vouloir l’être, mais il prend facilement un autre pli lorsque l’éducation le lui donne.>>
La Boétie
Voici donc l’histoire de Lilith, la punaise machiavélique, au royaume d’Igital; Dans ce royaume peuplé de chevaux, où le pouvoir se mesure en clics et en partages sur autant de groupes et de réseaux sociaux que de clans, Lilith, une punaise machiavélique caméléon, a repéré un petit groupe de chevaux naïfs et joyeux. Elle les a vus gambader dans une liberté tapageuse; cela l’a rendue jalouse et lui a donné une idée. Vous avez peut-être déjà croisé Lilith, cette punaise machiavélique qui s’introduit chez les gens quand ils ne s’y attendent pas, et dotée d’une carapace sombre et de pattes acérées ?
Lilith peut être redoutable pour qui en a peur; tapie dans un coin de la maison, elle est déjà en train de préparer son invasion discrètement tout autour de ses victimes. Elle a bien compris que la force véritable est conférée par la manipulation et l’asservissement volontaire des malheureux sur lesquels elle a jeté son dévolu. Et elle n’en est pas à son coup d’essai.
Lilith la diabolique s’approche avec un sourire vertical et énigmatique, ses yeux étalant autant de petites billes noires intrusives. Elle susurre à ses victimes dans une répétition permanente, pour les hypnotiser:
Mes petits chevaux, à quoi vous sert de courir ainsi, sans but et sans direction ?
– Arrêtez votre course folle et posez-vous donc dans ce nid. Ayez confiance en moi, je vous offre la sécurité, le confort, et en échange, vous me donnerez votre obéissance et vos richesses. Plus tard, lorsque vous aurez pris vos aises, vous m’enrichirez de votre descendance, que je pourrai asservir tout à loisir. Cette situation m’assurera votre hospitalité tout en se perpétuant par filiation. Je vous élèverai au-dessus de vos pairs, je vous éloignerai de tout ce qui ne va pas dans mon bon sens. Vous serez confortablement avachis sous ma protection. J’élèverai et je formaterai votre descendance à votre place et à ma guise car vous serez mon troupeau, confortablement installé et neutralisé. Vous n’aurez rien à faire, j’ai déjà tout prévu.
Ne soyez pas inquiets, je vous tiendrai toujours par les rênes et vous vivrez sans liberté, d’ailleurs vous n’en aurez plus ni conscience, ni besoin. Grâce à ma protection permanente, imaginez le confort de vivre sous un toit vaste et dans un nid au chaud, déjà tout bien rangé et pensé, avec du personnel de maison pour élever vos poulains, vous nourrir et nettoyer vos crottins? Avec du personnel en capacité de dicter dans votre intérêt chacun de vos faits et gestes? Plus de corvées. Le rêve éveillé ! Détendez-vous, car en vous offrant le confort absolu, je vous épargne le libre arbitre et la pensée personnelle.
Le troupeau de chevaux, séduit par l’apparent pouvoir, la richesse et l’illusoire liberté, se plia en confiance aux volontés de Lilith. Cette hôte discrète et déterminée n’avait-elle pas déjà commencé à les accueillir et à les phagocyter dans son piège depuis un bon moment ? Elle les faisait travailler pour son compte sans jamais éveiller leur attention. Elle tirait silencieusement toutes les ficelles, elle était capable de les amener à se fâcher avec tout élément subversif, aussi proche d’eux soit-il. Son dessein machiavélique? Les éloigner de tout individu qui verrait clair dans son petit manège. Les chevaux croyaient servir leur propre intérêt, mais en vérité, ils servaient celui de Lilith. Elle régnait en despote, discrètement mais sûrement.
Un cheval cependant, plus incrédule que les autres, tenta de semer le doute et d’organiser une révolte, en abordant avec son troupeau la question de la liberté et de la dignité. Mais Lilith la diabolique était rompue à cette éventualité. N’est-ce pas ruse des tyrans que d’abêtir leurs sujets? Elle sema la discorde parmi eux, elle récompensa ceux qui lui restaient loyaux, et bien entendu tenta de punir et brimer, en écartant ceux qui osaient douter.
La liberté est un leurre, La liberté est un leurre, La liberté est un leurre… répétait-elle dans sa démence, inlassablement, pour ponctuer toutes ses phrases.
Dans mon ordre, vous aurez votre place, votre rôle, et en contrepartie je vous protègerai des dangers et des loups du dehors.
Ainsi, Lilith la machiavélique a-t-elle réussi tant bien que mal à maintenir son pouvoir, non par la force brute, mais par la manipulation, la division, et en faisant croire à chacun de ses esclaves que leur servitude était leur propre choix, pour leur bien.
Ma morale de cette fable :
Dans le jeu du pouvoir, il est sage de convaincre les autres que leur servitude, c’est leur liberté.
La véritable force n’est pas dans l’asservissement visible, mais dans la domination des esprits et des volontés.
Que ceux qui cherchent la rébellion sachent que la liberté est un luxe que seul le maître peut se permettre de donner ou de reprendre.
Kandide